Churchill et de Gaulle, hommes d’état et écrivains
Winston Churchill et Charles de Gaulle s’illustrèrent aussi par leurs talents d’écriture. Deux historiens spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, David Reynolds et François Kersaudy, mettent en lumière là-aussi leurs différences d’approche.
Churchill et de Gaulle rédigèrent tous les deux leurs « Mémoires de guerre ». Étaient-ce leurs premiers écrits ?
David Reynolds : Churchill, contrairement à de Gaulle, a toujours gagné sa vie grâce au journalisme et à ses livres. Quand il devint Premier ministre en 1940, il avait déjà rédigé six volumes de mémoires sur la Première Guerre mondiale et avait en tête l’idée d’un projet similaire sur le Seconde Guerre.
François Kersaudy : De Gaulle n’est certes pas un auteur professionnel comme Churchill, mais avant la Seconde Guerre mondiale, il avait écrit quatre livres : La discorde chez l’ennemi, Le fil de l’épée, Vers l’Armée de Métier et La France et son Armée. À la différence de Churchill, l’écriture n’est pas destinée à soutenir son train de vie, mais à faire connaître ses idées. Et à tenter d’infléchir la stratégie des décideurs civils et militaires.
Quelle méthode d’écriture adoptaient-ils ?
F.K. : De Gaulle a écrit ses Mémoires de Guerre de sa propre plume, sans aucune collaboration, à l’exception d’un archiviste pour la recherche et le classement des documents originaux. L’entreprise était très secrète, le Général ne lisant les chapitres successifs qu’à de rares familiers. Il écrivait avec peine, soignant énormément le style. Les éditeurs n’ont été contactés qu’après l’achèvement des manuscrits.
D.R. : Churchill était entouré d’un groupe de chercheurs (connus sous le nom de « Syndicat ») chargés de rassembler les messages envoyés durant la guerre et d’écrire de courts essais sur des moments clés du conflit. Il dictait ses souvenirs de rencontres avec des chefs d’État étrangers, comme Roosevelt, Staline et de Gaulle. Son moment favori pour travailler était le soir, après un bon dîner, chaque chapitre faisant l’objet de plusieurs versions.
Winston Churchill, brouillon de ses mémoires de guerre, The Second World War, vool.6, book 1, chapter 15, October in Moscow, 150-1953. Cambridge, Churchill Archives centre.
Ce brouillon est révélateur du travail en équipe qu'a été le projet de rédaction de The Second World War. Churchill recourt à plusieurs types de documents qu'il découpe et dont il rassemble les extraits en les collant dans l'ordre souhaité. Chacun des intervenants annote ensuite le brouillon avec une couleur qui lui est attribuée.
Quel accueil ont reçus leurs Mémoires ?
D.R. : Les mémoires de Churchill ont connu un succès mondial. Traduits en plusieurs langues et publiés sous forme de feuilletons dans des journaux de référence, ils ont contribué à sa réception du prix Nobel de Littérature en 1953. Les formules qu’il utilisa pour décrire les différentes phases de la guerre influencent encore la conception contemporaine du conflit, surtout en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
F.K. : Les Mémoires de Guerre du général de Gaulle ont connu en France un succès immédiat. L’épopée de la France libre aurait été incompréhensible sans sa version des événements, et les innombrables documents cités n’auraient sans doute pas été disponibles à la recherche avant trente ans. Ils ont été traduits en 25 langues, mais le Général n’y attachait guère d’importance, considérant qu’ils étaient écrits pour des Français. Les Mémoires de Guerre du Général ont eu l’honneur de la Pléiade, mais le Prix Nobel les a oubliés. Le seul prix qu’il eût certainement accepté.
«La France fut faite à coup d’épée. »
Charles de Gaulle, La France et son Armée.
«Mais les épées ne sont pas les seules armes du monde. On peut agir avec la plume. »
Winston Churchill,« With Headquarters IX - Escape from Pretoria », Churchill Additional papers.