France-Allemagne(s) : une double perspective
L’exposition s’attache à aborder la guerre de 1870-1871 dans une double perspective, à la fois française et allemande. Le conflit et ses conséquences sont expliqués du point de vue des deux belligérants et des oeuvres d’artistes français et allemands, comme des objets et documents provenant des deux pays viennent soutenir et illustrer le discours. À cette fin, des partenariats approfondis ont été noués avec de nombreuses institutions allemandes (Kupferstichkabinett et Alte Nationalgalerie - Staatliche Museen de Berlin), qui contribuent généreusement à l’exposition par des prêts nombreux et importants, ainsi que par des essais et notices publiés dans le catalogue. Les oeuvres et objets provenant des collections allemandes seront confrontés à ceux des institutions françaises et mis en perspective dans le cadre d’un parcours scénographique dont les principales scansions ont été définies avec le concours d’un comité scientifique présidé par le professeur Jean-François Chanet, recteur de l’académie de Besançon et comptant parmi ses membres des historiens et conservateurs français et allemands, parmi lesquels le professeur Hans Ottomeyer (Président honoraire du Deutsches Historisches Museum), le docteur Thomas Weissbrich (conservateur au DHM), le docteur Mareike König (Centre allemand d’histoire de l’art) et le docteur Christine Krüger (Université de Giessen).
Paul Hadol, dit White
Carte de l’Europe en 1870, d’après une gravure sur bois française
[Karte von Europa im Jahre 1870, nach einem französischen Holzschnitte], 1870
Berlin, Stiftung Deutsches Historisches Museum
© Deutsches Historisches Museum, Berlin/ I. Desnica
Spectaculaire « année terrible »
La guerre franco-allemande puis la guerre civile se déroulent sous l’oeil des reporters mais également des artistes missionnés ou accrédités par l’État-major tels que Werner et Trübner, mobilisés comme Meissonier ou Manet, témoins engagés à l’instar de Carpeaux, Corot ou Menzel. La photographie documente la conquête, l’occupation et leurs conséquences : mise en état de défense des villes, destructions liées aux bombardements, prisonniers, reconstructions. Fait nouveau ou presque, elle sert à l’tidentification des morts, puis à celle des suspects dans le cadre des procès de la Commune. Si son usage en tant qu’outil de reconnaissance militaire peine à s’imposer - comme le déplore Nadar, aérostier durant le premier Siège de Paris -, l’image photographique in situ sert de source aux peintres Detaille et Neuville lors de la réalisation de panoramas peints dont la diffusion internationale repose sur l’itinérance mais aussi sur les reproductions photographiques. Instruments autant qu’aliments des mémoires du conflit, photographie, gravure et peinture concourent ainsi, de manière indissoluble, à ses interprétations successives et concurrentes.
Certaines de ces oeuvres bénéficient d’une véritable diffusion internationale, en Europe et en Amérique, à travers la duplication de panoramas, la circulation d’expositions, la reproduction d’oeuvres sous forme d’estampes et photogravures, les inscrivant dans la mémoire visuelle des conflits et guerres civiles. Les anniversaires de la Commune, en 1896 et 1901, suscitent la production d’une série de dessins, peintures et estampes consacrés à ce mouvement et à son écrasement, jusqu’alors occultés par l’historiographie officielle républicaine et l’iconographie qui lui est associée. Des artistes proches des courants anarchistes, tels que Luce et Vallotton, travaillent - en s’inspirant parfois de photographies des protagonistes et des événements - à des oeuvres dont la dimension dénonciatrice est confortée par le dévoilement de l’affaire Dreyfus.
Croisy Aristide-Onésime
L'Armée de la Loire
Paris, musée de l'Armée
© Paris, musée de l’Armée / Emilie Cambier
Les sièges de Paris
Après la victoire de Sedan, le nouvelle République française décidant de poursuivre les combats, Moltke – chef de l’État-major prussien – porte son effort sur Paris, afin de faire tomber la capitale et gagner la guerre. Du 20 septembre au 28 janvier, jusqu’à 400 000 soldats allemands assiègent la capitale. Protégés par les imposantes fortifications de Paris, 1 750 000 civils et 450 000 combattants attendent l’assaut ennemi… en vain, Moltke préférant vaincre par la faim plutôt qu’infliger à son armée de sanglants combats de rues. Les assiégés souffrent du rude hiver 1870-1871, des privations de charbon et de nourriture, mais espèrent le succès des armées françaises. À partir du 5 janvier, Paris et sa banlieue subissent un intense bombardement : excédé par la résistance parisienne, l’État-major prussien veut contraindre la ville à la capitulation, sans succès. Fin janvier 1871, la situation étant désespérée, la France négocie un armistice qui met fin à 132 jours de siège. La capitale est ravitaillée, mais échappe à l’occupation allemande.
Après l’insurrection populaire du 18 mars 1871, le gouvernement français quitte Paris pour Versailles. Les combats débutent dès le 21 mars. Le 2 avril, l’armée française s’empare de Courbevoie, alors que les Fédérés échouent à prendre Versailles le 3. À partir du 30 avril, près de 400 pièces d’artillerie, installées au Mont-Valérien et sur les hauteurs de Saint-Cloud, Meudon et Châtillon, pilonnent les forts d’Issy et de Vanves, clés de la défense parisienne au sud-ouest, et les remparts de l’enceinte fortifiée. Cependant, les dommages s’étendent bien au-delà de ces objectifs, touchant les quartiers ouest de la ville. Le 21 mai, l’armée française pénètre dans Paris : c’est le début de la Semaine sanglante, qui voit la reconquête quartier par quartier de la capitale. Les combats s’achèvent le 28 mai par la prise des dernières barricades à Belleville.
Mandar et Mugnier
Paris 1871, Rue de Bondy, 1871
Musée de l’Armée, Paris
© Paris, musée de l’Armée - Dist. RMN-GP / Emilie Cambier
Défense d'oublier !
La mémoire des combattants de 1870-1871 est présente en région parisienne, pour peu que l’on veuille bien y prêter attention. À Paris, le Lion de Belfort et la place Denfert-Rochereau rendent hommage à la résistance de la ville et de son commandant, tandis qu’à Champigny-sur-Marne et au Bourget, monuments et ossuaires rappellent les batailles éponymes. Enfin, le quartier d’affaire de la Défense tire son nom de l’oeuvre de Louis-Ernest Barrias, La Défense de Paris, érigée en 1883 dans la perspective de l’Arc de triomphe, pour commémorer la défense de la capitale assiégée. À Berlin, les abords, maintes fois remaniés par les régimes successifs, de la Siegessäule - Colonne de la Victoire commémorative des trois guerres d’unification allemande – portent la trace des travestissements d’une histoire dont le rejet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cède aujourd’hui la place à une approche plus distanciée et apaisée. Des toponymes tels que la Sedanstrasse ou la Strasse der Pariser Kommune rappellent par ailleurs l’ancienne partition entre les deux Berlin, Ouest et Est.
Émile Robert
Statue de Napoléon Ier après la chute de la colonne Vendôme, le 16 mai 1871, 1871
Collection J. Baronnet
© Paris, musée de l’Armée / Pascal Segrette
Les trois guerres d'unification allemandes
Pour unifier les États allemands, Otto von Bismarck engage la Prusse dans trois guerres, dites d’unification.
En 1864, alliée à l’Autriche, la Prusse vainc le Danemark : les duchés danois du Schleswig et de Holstein sont respectivement placés sous administration militaire prussienne et autrichienne.
En 1866, Bismarck prétexte une mauvaise gestion autrichienne du Holstein : la guerre est déclarée entre les deux puissances. Le 3 juillet 1866, les armées prussiennes remportent une victoire décisive à Sadowa, l’Autriche est défaite. Ce succès porte un coup d’arrêt au projet d’édification d’une « grande Allemagne » autour de l’Autriche, au profit d’une « petite Allemagne » placée sous hégémonie prussienne. En 1867, la création de la confédération de l’Allemagne du Nord entérine cette étape dans la marche vers une Allemagne unie.
Bismarck pense alors qu’une guerre contre la France achèvera l’unité allemande, malgré les réticences des États d’Allemagne du Sud. Habile, il pousse Napoléon III à la déclarer en juillet 1870, plaçant la Prusse en position d’agressée. Les alliances défensives passées avec la Bavière, le Wurtemberg, le Bade et la Hesse sont respectées et ce sont des armées « allemandes » qui pénètrent en France en août 1870. Leurs victoires valident la politique bismarckienne et, le 18 janvier 1871, l’Empire allemand est proclamé à Versailles.
Ce triptyque des guerres d’unification est « fabriqué » par les historiens et les journalistes allemands à partir de 1871 pour montrer l’inéluctabilité d’une Allemagne unie et glorifier les victoires remportées.
La commune
L’armistice mettant fin aux combats de la guerre de 1870-1871 est vécu comme une trahison par une partie des Parisiens, qui veulent poursuivre la guerre. Par ailleurs, certaines mesures du gouvernement – fin du moratoire sur les loyers, suppression de la solde des gardes nationaux – sont critiquées. Ce sursaut patriotique, conjugué à l’agitation sociale et à une tradition révolutionnaire, débouche sur une guerre civile opposant, à partir de l’insurrection du 18 mars, le gouvernement de Thiers installé à Versailles et la Commune de Paris, proclamée par la Fédération républicaine de la Garde nationale.
Pendant 72 jours, la ville est dirigée par un conseil communal, dont le programme sera en partie repris par la IIIe République : séparation de l’Église et de l’État, enseignement gratuit et laïque... Des épisodes insurrectionnels, rapidement réprimés, ont également lieu à Lyon, Marseille, Le Creusot ou Toulouse. La réaction du gouvernement est immédiate : l’armée française assiège Paris et combat les troupes fédérées. La ville est reconquise quartier par quartier, sous l’oeil des Allemands, qui facilitent le retour des prisonniers de guerre français au profit du gouvernement. À l’issue de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871), une répression féroce s’abat sur les Communards : arrestations, exécutions, condamnations à des peines de prison ou à la déportation en Nouvelle-Calédonie. Par deux lois successives en 1879 et 1880, la République amnistie les Communards. Le 29 novembre 2016, l’Assemblée nationale réhabilite les victimes de la Commune.
Bruno Braquehais
Barricade rue de Castiglione, 1871
Musée de l’Armée, Paris
© Paris, musée de l’Armée, Dist. RMN-GP / Émilie Cambier