1. La victoire de Sainte-Hélène

Le 27 mai 1821, la famille Bertrand, Montholon, le Dr Antommarchi, l’abbé Vignali, les serviteurs Marchand, Ali, Coursot, Archambault... s’embarquent pour l’Europe. Dans leur sillage s’éloignent Longwood et ses meubles anglais ou chinois, qui sont partagés entre les notables de l’île. Ceux-là même qui avaient fourni à Napoléon, en 1815, les meubles dont ils ne voulaient plus.
S’ils doivent laisser en terre étrangère le corps de l’Empereur, ses derniers fidèles emportent le manuscrit de ses Mémoires, son testament, son masque mortuaire, des dizaines d’objets marqués par sa présence, ainsi que leurs propres souvenirs.
La phase finale de la bataille se joue loin de Sainte-Hélène, mais l’île reste au coeur du sujet. Par la suite, les témoins de Napoléon Ier font en effet connaître, sans relâche, non seulement l’histoire de son règne telle qu’il l’a lui-même écrite, mais aussi les tribulations de ses dernières années. Ainsi, en cherchant à la compléter, ils finissent par remodeler considérablement l’empreinte laissée par l’Empereur dans la mémoire de ses contemporains et des générations suivantes.

2. Quitter Sainte-Hélène

Même mort, l’Empereur continue d’exercer une influence sur la vie politique. Les uns vouent sa mémoire au néant ; les autres veulent l’honorer. En 1840, le roi Louis-Philippe Ier tente un geste de cohésion nationale. Avec l’accord de la couronne britannique, il envoie à Sainte-Hélène son fils, le prince de Joinville, en quête de l’illustre dépouille. Après quelques hésitations, l’hôtel des Invalides est choisi pour l’accueillir.
L’expédition rassemble la plupart des témoins de l’exil : Bertrand et son fils Arthur, Gourgaud, le fils de Las Cases, Marchand, Ali...
Le 15 octobre 1840, sous la pluie, on ouvre la tombe, puis les quatre cercueils. Le corps apparaît, parfaitement conservé. L’émotion est intense. Le cercueil d’acajou est distribué par morceaux entre les participants.
On lui substitue un nouveau cercueil de plomb, inséré dans un sarcophage d’ébène.
Arrivée à Cherbourg, la dépouille – pudiquement appelée « cendres » – remonte la Seine. Paris l’accueille le 10 décembre.
Le sarcophage est d’abord exposé dans une chapelle du Dôme des Invalides jusqu’à son transfert dans la crypte monumentale, en 1861.

3. Le rocher du destin

L’Europe apprend en juillet 1821 le décès de Napoléon à Sainte-Hélène. Quoiqu’incertaine, la nouvelle de sa mort en chrétien émeut ses détracteurs. Parmi eux, le poète Alphonse de Lamartine conclut : « Son cercueil est fermé ! Dieu l’a jugé ! Silence ! ».
À Longwood, l’Empereur s’est mis en scène, expliquant même au comte de Montholon : « Si Jésus Christ n’était pas mort sur la croix, il ne serait pas Dieu. » Après sa mort, les récits des témoins viennent parfaire la métamorphose. Mèches de cheveux ou feuilles des saules du tombeau, les mémentos que ses fidèles diffusent deviennent les reliques d’un culte nouveau. Mort en exil sur une île assimilée à l’enfer, Napoléon en revient transfiguré.
« Tu domines notre âge. Ange ou démon ? Qu’importe ! » répond Victor Hugo à Lamartine. Pour les enfants du siècle qui succède aux Lumières, Napoléon devient un héros mythologique. Sainte-Hélène, dès lors, se mue en rocher de Prométhée, le titan qui – pour avoir porté le feu aux hommes – est éternellement torturé par l’aigle de Zeus.
La physionomie de l’île s’efface derrière le symbole.